Une expérience : un premier voyage
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Présentation de Jean-Luc Wenric – 2013
En 1976, Philippe Evrard publiait dans la revue belge AVIANEWS, depuis lors disparue, le récit de son premier voyage en avion en août 1975. Ce récit est reproduit ci-dessous avec le commentaire de l’éditeur de la revue.
35 ans ont passé. Les choses ont-elles changé depuis lors ?
C’est avec beaucoup de plaisir que j’ai lu le récit de Philippe.
Ayant moi-même beaucoup de plaisir aux (trop peu nombreux) voyages, c’est presque « en salivant » que j’ai perçu toute la jubilation qui se dégageait de ses pérégrinations aéromotorisées.
Surprise : la machine utilisée est toujours bien là : le Cessna 172, avec ses défauts et ses qualités, reste bien un avion de transport encore fréquemment utilisé de nos jours.
C’est évidemment au niveau des appareils de radio-navigation que tout a extraordinairement changé. Bien sûr avons-nous toujours nos cartes, bien sûr pensons-nous toujours être capables de nous servir d’un VOR ou d’un ADF, bien sûr sommes-nous toujours aussi attentifs à ne pas décoller sans être en possession de tous nos documents administratifs… Mais enfin, concédons-le, si ce n’est certains irréductibles, nous nous servons, honnêtement et modestement, bien plus de nos GPS et de nos
« MOOVING MAPS ».
Comme il est facile d’échapper à l’angoisse du pilote qui, à l’approche d’une CTR, s’entend dire qu’il doit entrer via WHISKY plutôt que BRAVO et qui prie fermement son copilote de trouver lesdits points d’entrée sur sa carte (pour autant que la communication ait été bien reçue). Finis les coups de coude donnés pour déplier la carte (vous aurez noté que le point demandé est systématiquement au-delà du pli de la carte, à l’intérieur de celle-ci et d’un accès délicat). Qu’il est facile, aujourd’hui, interpellé par ce même contrôleur, de préciser que nous sommes « OVERHEAD ZOULOU » et que nous serons en vue de l’aérodrome dans les 3 minutes…
Même l’entrée dans la couche nuageuse est moins stressante, puisque nous savons maintenant en permanence à quelle hauteur se situent les obstacles et à quelle altitude de sécurité nous devons voler.
Bref, le progrès technique nous a vraiment facilité la tâche même s’il présente évidemment le danger de nous faire perdre nos compétences ( ?) si durement acquises après de nombreux mois d’études.
Mais ce n’est pas tant ce progrès technique qui justifie ces « mais », ce n’est pas tant ce progrès technique qui justifie ces quelques lignes. C’est plutôt le sentiment d’euphorie générale que traduit si bien le récit de Philippe que je peux, sans honte, m’approprier à l’occasion de mes premiers longs voyages.
A mon avis, l’excitation des premiers voyages est telle que les difficultés du pilote à s’endormir la veille du départ doivent être les mêmes, que l’on soit en 1976 ou en 2011.
L’angoisse des caprices de la météo n’a très certainement pas changé non plus.
La joie du premier atterrissage dans un aérodrome d’une zone contrôlée et le sentiment de «compétence» ressenti à cette occasion demeurent très certainement inchangés également.
La technique évolue, les sensations demeurent.
Celui qui racontera son premier voyage et sera capable de faire percevoir aux lecteurs le bonheur qu’il y a ressenti ne pourra que faire de nouveaux adeptes !
Jean-Luc Wenric
Le voyage de Philippe EVRARD n'a pas l'ampleur du raid d'Etienne Vigoureux au Groenland ou du ferry flight de Laurent Delbrouck au Pakistan. Loin de là !
Et d'ailleurs, ce n'est pas le but de son récit. Philippe Evrard est un jeune pilote. Il retrace dans ces colonnes son premier voyage hors des frontières belges.
Il s'agit d'une invitation valable pour tous les jeunes pilotes qui viennent de décrocher leur licence de pilote privé. Une invitation à sortir du tour de piste. A voyager. Au final, il en émane une leçon et quelques sentiments mitigés concernant la formation des pilotes. L'initiation à la pratique de la radionavigation et au pilotage sans visibilité s'avère de plus en plus nécessaire.
Pourquoi ? Tout simplement parce que les générations de pilotes privés à venir sont appelées à voyager de plus en plus. Pourtant, il est à constater que les centres de formation n'encouragent pas toujours leurs élèves en ce sens. Il faut alors que l'engouement des élèves dépasse les préjugés de certains animateurs de centres.
C'est seulement ainsi que les jeunes pilotes seront en mesure, à l'instar de Philippe Evrard, de franchir les frontières.
Depuis plusieurs mois, la destination est fixée : la Corse !
Si le premier pilote totalisait un peu moins de 90 heures de vol, le second venait tout juste d'obtenir sa licence et d'être qualifié sur Cessna 172. Quant aux licences radio, le tampon de la Régie des Télégraphes et Téléphones séchait encore.
Malgré tout, nous étions prêts !
Vendredi 1er août 1975: la veille du départ, le Cessna 172 OO-VEV est conduit de Verviers à Liège – Bierset. Douane oblige.
Samedi 2 août : le départ, fixé à 9 heures et demi, est à peine retardé de quelques minutes, le temps de saluer parents et amis venus voir partir les « merveilleux fous volants ».
PREMIERE DESTINATION : GENEVE
La frontière belge est vite atteinte et le contact avec les contrôleurs français est très agréable. Nous apprécions le ton direct, cordial et sans façons.
En combinant la radionavigation et la navigation à vue, nous arrivons aux environs de Luxeuil. Là, tout se complique ! V.O.R. et compas nous donnent des indications fort différentes. Interrogés, Paris Info nous signale que, selon eux, la balise de Luxeuil fonctionne correctement. Sceptiques, nous faisons confiance au compas : à juste titre puisque nous sommes bientôt en vue du col de la Faucille !
Premier contact avec un aéroport international : Genève est là.
Heureusement le pilote a bloqué sa carte d'approche et celle-ci se fait sans difficulté. Le moment est toutefois impressionnant quand la seule expérience d'aérodrome contrôlé se limite à un atterrissage à Bierset un soir en fin de semaine et qu'un DC 10 vous suit en finale !
Au sol, l'accueil est à la hauteur de l'amabilité de tous les contrôleurs contactés. A ceux-ci, tout spécialement merci.
Après l'approvisionnement de la machine et de l'équipage, envol pour Cannes. Les orages annoncés par la météo nous incitent à renoncer à la voie directe par les Alpes pour descendre jusqu'au V.O.R. de Montélimar par la vallée du Rhône et obliquer ensuite par les Basses Alpes.
La dénomination de celles-ci semble bien modeste à ceux qui, jusqu'alors, n'ont vaincu que le Signal de Botrange qui culmine à 692 mètres d'altitude.
A la hauteur du Mont Ventoux, le temps se gâte : nuages bas, pluie, visibilité et... dérive à droite. Les leçons nous reviennent à la mémoire : dérive à droite signifie danger. Bientôt nous survolons la Durance et la foudre se met de la partie.
Isolés dans notre appareil, nous pourrions faire confiance au principe de la Cage de Faraday, mais nous préférons cependant l'aspect accueillant bien que caillouteux de l'aérodrome vélivole de Vinon où nous interrompons notre voyage sans avoir oublié de clôturer notre plan de vol.
PREMIERE TRAVERSEE
Dimanche 3 août : le soleil de Provence tape tout au long des trois kilomètres de marche qui séparent le village de Vinon du terrain. Après un départ sans la moindre formalité, nous arrivons à Cannes en moins de 40 minutes de vol. Sur place, nous admirons le dynamisme de la Chambre de Commerce de Cannes qui gère avec efficacité l'aérodrome local.
Les sourires azuréens nous charment et la taxe d'atterrissage n'est pas élevée : 8,40 FF. Checks, conseils, plein d'essence, et nous mettons le cap sur Calvi au niveau 55 pour la traversée maritime.
Dès le départ, la brume nous supprime tout repaire naturel et, déjà, l'horizon artificiel se révèle utile. Nous ne doutons pas encore qu'au retour il sera indispensable.
Peu avant le point milieu, Nice nous demande de relayer un message à destination d'un avion qui a perdu le contact. Nous essayons, mais déjà le « Tango Fox » en question bavarde avec Ajaccio. Il est donc en de bonnes mains.
Sous nos ailes, la « Grande bleue » s'étale partout émaillée de points blancs qui cinglent vers la Corse ou vers le continent. Finalement tous ces repères nous rassurent beaucoup plus que nos « Mae West », d'autant plus qu'au départ on nous a fait signer un engagement de remboursement à l'Etat français de l'intégralité des frais de recherches éventuelles.
Après une légère correction de cap par recoupement sur le V.O.R. de Bastia, nous avons la côte en vue et apercevons bientôt le golfe de Calvi.
La traversée a duré une heure. Du niveau 55, le terrain est en vue. Après une descente rapide, nous amorçons, « Full flaps », une véritable approche de Boeing 747, le pilote laissant à ses passagers le soin d'admirer la découpe des côtes.
Mardi 5 août : le retour commence par une nouvelle traversée : Calvi – Cannes.
Aux troisquarts du parcours, l'approche de Nice nous fait descendre à 1.000 pieds c'est-à-dire dans la brume.
Le P.S.V. Commence ! L'oeil rivé sur son horizon, le pilote suit scrupuleusement les indications données par les contrôleurs qui nous suivent au radar : 10 secondes pour régler l'O.B.S. et nous voilà, sans nous en rendre compte, à 400 ft immédiatement rappelés à l'ordre par Nice qui laisse transparaître quelqu'inquiétude.
Nous aurons l'occasion de méditer sur la nécessité pour tout pilote privé d'avoir un minimum d'entraînement au P.S.V. La crainte, souvent exprimée, de voir un pilote s'enhardir après quelques heures de « link-trainer » est sans commune mesure avec l'avantage que procure un minimum d'entraînement lorsque brutalement les conditions météo se dégradent.
Finalement Cannes est là. Nous retrouvons avec plaisir des repères terrestres.
Un passage à la météo nous annonce un front pour le début de l'après-midi. Il est grand temps de partir et, cette fois, c'est en ligne droite que nous remontons vers Genève au niveau 65.
Nous négligeons le spectacle de la Durance dont le filet d'eau est bien mince en cette saison, pour contempler les premiers sommets alpins toujours couverts de neige.
Durant ce voyage nous avons été véritablement gâtés par la succession des paysages rencontrés : Vosges, Jura, Vallée du Rhône, Basses Alpes, Alpes, Côte d'Azur et Corse.
DERNIERE EPREUVE
Genève et ensuite Sion seront les deux dernières escales de la journée.
Pendant le dernier trajet, Genève Info nous recommande de ne pas nous écarter de notre route car des orages sont annoncés au nord.
Mercredi 6 août : Dernière étape Liège via Luxembourg.
Le col le plus bas qui s'offre à nous pour une petite traversée des Alpes depuis Sion exige un passage au niveau 85. C'est alors que « Echo Victor »révèle son gros défaut : sans doute accablé par la chaleur, il ne grimpe guère et plafonne au niveau 75. Deux ou trois cumulus nous permettent de regagner quelques centaines de pieds mais la marge de sécurité est insuffisante. La mort dans l'âme nous renonçons et annonçons à Sion un détour par le lac Léman. Un coup d'oeil toutefois sur les sommets proches.
Le spectacle est merveilleux : nous y reviendrons !
Les V.O.R. de Froideville et Luxeuil (ce dernier fonctionne impeccablement cette fois), nous conduisent jusqu'à la Moselle où nous sommes pris en charge par l'approche de Metz.
Nous que la surcharge de cette région en zones réglementées est plus impressionnante sur le papier que dans la réalité. Un ou deux appels radio et, sans dévier d'un degré, nous poursuivons notre cap.
Après une brève escale à Luxembourg, nous sommes bientôt à Liège où nous nous rappelons que la langue officielle de l'O.A.C.I. est l'anglais. La température caniculaire a anéanti le douanier deservice, ce qui nous permet de passer sans embûche.
Une demi-heure plus tard, nous nous posons à Verviers après 1.009 minutes de vol.
En cinq jours, notre expérience aéronautique s'est plus enrichie qu'en un an de vols locaux ou régionaux.
Amis pilotes privés, que ce récit constitue pour vous un appel au large !
Secouez vos ailes. Quittez les sentiers battus, partez et voyagez ! Après une bonne préparation, il n'est pas plus difficile de naviguer entre Genève et Cannes qu'entre Saint-hubert et Grimbergen.
Mais attention à l'accoutumance ! Nous avons goûté aux voyages et déjà nous élaborons de
nouveaux projets : Ecosse, Cap Nord. Et pourquoi pas l'Irlande ?
Philippe Evrard